Année : 1973
Réalisateurs : René Laloux & Roland Topor
LE FILM D’ANIMATION
Imaginez un gamin d’une dizaine d’années, chez sa tante un après-midi de vacances, où ses parents et les autres grands parlent de trucs de grands… Bien sûr, c’est de moi qu’il s’agit. On m’a laissé mettre la télé, et choisir quelque chose de regardable… Je zappe (sans télécommande) et soudain, sur l’écran, une immense créature aux yeux rouges qui tient dans sa main un petit garçon. Je suis aussitôt fasciné. J’ai raté le début mais de peu, et comme les discussions des grands s’éternisent, je peux regarder le dessin animé jusqu’au bout.
Je suis surpris par les dessins, que je trouve fort différents de tous les dessins animés que j’ai vus jusqu’ici (des japonais comme Goldorak, Albator ou Capitaine Flam ; les Hannah-Barbera ; les Disney au cinéma…). Je ne peux même pas dire que j’ai apprécié le style mais regarder ce film d’animation, comme je l’ai écrit plus haut, m’a hypnotisé, je n’aurais pas voulu partir avant la fin.
L’histoire est assez simple, je vais la résumer sans tout dévoiler (des fois qu’il y en ait parmi vous qui n’aient toujours pas vu ce film).
Sur une planète éloignée, appelée Ygam, vivent les Draags : créatures à peu près humanoïdes d’une dizaine de mètres de haut. Leur société est très avancée, ils maîtrisent notamment les voyages spatiaux, ce qui leur a permis d’explorer une étrange planète appelée Terre, sur laquelle ils ont déniché des Oms. Les Draags ont immédiatement apprécié ces minuscules créatures, qu’ils ont ramené sur Ygam pour en faire des animaux de compagnie – l’Om est le meilleur ami du Draag ! Une partie des Oms se retrouve ainsi chez des Draags en tant qu’Oms de luxe (avec un collier électronique pour éviter qu’ils ne s’enfuient), tandis que beaucoup d’autres restent sauvages, et ceux-là sont régulièrement “désomisés” pour éviter leur prolifération. Presque tous les Draags considèrent que l’Om n’est pas un animal intelligent, alors que certains pensent qu’il a des rudiments d’intelligence et qu’on peut le dresser pour faire des tours (suite aux vestiges de leur civilisation découverts sur Terre).
Au début de l’histoire, un bébé Om est recueilli par une jeune Draag appelée Tiwa. Elle l’élève comme tout Draag s’occupe d’un Om (comme un animal de compagnie donc, dans une omerie) et lui donne le nom de Terr. Mais le destin de celui-ci est bien plus intéressant. Les jeunes Draags apprennent leurs leçons grâce à des écouteurs, qui leur dispensent le savoir directement dans le cortex cérébral, gros avantage car ils n’ont pas à retenir quoi que ce soit : c’est directement acquis. Et comme Tiwa s’instruit en tenant Terr dans ses mains, celui-ci bénéficie également de tout le savoir des Draags car les infos passent par son collier électronique. Au bout de quelques jours (une semaine pour un Draag correspond à une année pour un Om), Terr qui a bien grandi se rend compte que ses maîtres ont compris qu’il était d’une intelligence hors normes : il s’enfuit avec l’écouteur de Tiwa et rejoint les Oms sauvages, qui tentent comme ils peuvent de survivre aux dépens des Draags…
Terr (deuxième personnage à gauche sur la capture ci-dessus) pourra-t-il changer la condition des Oms ?
ADAPTATION
La Planète Sauvage est une adaptation un peu libre du roman Oms en Série, écrit en 1957 par Stefan Wul (1922 – 2003).
Le livre est bien plus strict, plus réaliste et cohérent que le dessin animé. Il se lit très facilement et assez vite (moins de 200 pages en collection Folio SF), et dépeint davantage la société des Draags que ne le fait le film. Ainsi dans le roman, on n’a pas cette étrangeté des décors, pour le moins insolites, et la société Draag ressemble davantage à la nôtre, avec quelques petites différences technologiques ; par contre les Draags sont décrits comme ayant 10 doigts à chaque main et une membrane comme celle des écureuils volants (éléments qu’on ne voit pas dans le film d’animation).
Le gros changement apparu dans le dessin animé est l’étrange méditation des Draags, qui est la clé de la lutte entre Draags et Oms. Une autre différence importante est que dans le film d’animation, les Oms colonisent un satellite d’Ygam, alors que dans le livre ils se rendent sur un des continents inoccupés de la planète.
Je dirais pour conclure que le roman est moins psychédélique que le film, même si tous deux partagent pour l’essentiel les mêmes personnages et la même histoire. Avec le recul et les années, je peux dire que j’apprécie tout de même plus le roman que le film d’animation – à cause de la vision de Topor justement.
RÉALISATION
Mais revenons au dessin animé. C’est Roland Topor (1938 – 1997) qui s’est chargé des premières esquisses, puis des dessins servant de base à l’animation. C’est grâce à lui – ou à cause de lui, ça dépend du point de vue – que le dessin animé s’est retrouvé tellement étrange, avec ses animaux, plantes ou contrées si surprenantes. L’univers artistique, bariolé voire déjanté de Topor n’est plus à démontrer, vous pourrez vous en rendre compte avec les deux captures ci-dessous, ou en regardant Téléchat ou Marquis (attention, à ne pas montrer aux jeunes enfants).
Bref, Topor est le pilier visuel de La Planète Sauvage, comme le seront par la suite, pour les deux autres longs métrages réalisés par René Laloux : Moebius pour Les Maîtres du Temps (cliquez ici pour la bande-annonce) et Caza pour Gandahar (cliquez là pour la bande-annonce).
Parlons maintenant de René Laloux (1929 – 2004). Il a auparavant réalisé quelques courts-métrages (les Dents du Singe en 1960, puis avec Topor Les Temps Morts (1964) et Les Escargots (1965). Suite au succès de ce dernier, les deux collaborateurs se lancent dans l’aventure du long métrage La Planète Sauvage.
René Laloux explique que sa préférence pour la technique d’animation, fut le papier découpé en phases. D’après lui, cela permet des détails impossibles à obtenir sur le celluloïd (film transparent avec colorisation à la gouache). Pour Laloux, “le cellulo est une matière barbare ; le papier, c’est une matière très noble”. Par contre ce procédé est plus coûteux que le cellulo traditionnel. Du coup il leur fallut gérer l’animation à l’extérieur de la France pour des raisons financières, et ainsi faire appel au studio Jiri Trnka de Prague, où 25 personnes travaillèrent sur le film pendant plus de quatre ans.
Comme c’est le studio Jiri Trnka qui a fait l’essentiel du dessin, on peut citer Josef Kabrt (responsable du graphisme des personnages), Josef Vana (responsable du graphisme des décors), et Hélène Arnal (montage).
Pour finir côté son, c’est Alain Goraguer qui réalisa la musique du film (il avait déjà collaboré avec René Laloux sur les courts-métrages précédents) ; quant au doublage, ce sont quelques noms connus tels que Jean Topart, Sylvie Lenoir, Jennifer Drake, Jean Valmont, Gérard Hernandez… qui prêtèrent leurs voix aux personnages de l’histoire.
LES RÉCOMPENSES ET LA RECONNAISSANCE
La Planète Sauvage est tout de même le premier film d’animation français traitant de science-fiction. Il obtint de nombreuses distinctions :
– le Prix Spécial du 26ème Festival de Cannes en 1973 (cliquez sur ce lien pour un extrait de l’interview de Laloux et Topor à cette époque),
– le Prix du Jury International du 11ème Festival du film de science-fiction de Trieste,
– le Prix Saint-Michel en 1974,
– le Grand Prix du film d’animation avec médaille d’or au Festival d’Atlanta (USA),
– le prix de la Critique Internationale au Festival de Téhéran.
La version internationale du film se nomme Fantastic Planet. Étrangement, le film a eu plus de succès à l’étranger qu’en France, comme plus tard Les Maîtres du Temps puis Gandahar. En tout cas, la renommée de cet OVNI français et tchécoslovaque fut réellement impressionnante, et le succès du film ne s’est jamais démenti. Son atout reste son style visuel propre, sachant se démarquer des productions existantes (notamment Disney) ; de plus, alors que La Planète Sauvage se voulait plus ou moins un film pour adultes, il peut toutefois être vu à plusieurs niveaux, et donc également par les enfants.
Si ça vous tente, vous trouverez ici la bande-annonce en anglais (je n’ai trouvé que des extraits en français).
Il existe de nos jours, pour une vingtaine d’euros, un coffret de 2 DVDs proposant La Planète Sauvage et Gandahar, avec de nombreux bonus. C’est ce coffret que j’ai acheté tout récemment.
CONCLUSION
En dehors de l’histoire très sympathique, les dessins si particuliers et l’animation parfois un peu étrange peuvent quand même déplaire. De nos jours, certains trouveront que le film a mal vieilli. Personnellement, il y avait de très nombreuses années que je ne l’avais pas visionné (il me semble qu’il n’a pas été programmé à la télé depuis belle lurette), et j’ai eu un peu de mal à le revoir avec un œil d’adulte – et la volonté de faire des comparaisons entre le dessin animé et le roman… Mais au bout de quelques minutes, je me suis retrouvé à nouveau happé par les images, par l’histoire, et finalement j’ai regardé une fois de plus jusqu’au bout ce que certains considèrent comme un des plus grands films de science-fiction jamais réalisés. À vous de vous faire votre propre opinion.
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