L’émission Téléchat ! (Récré A2 / 1983)

Si je vous parle d’une parodie de journal télévisé, diffusée dans les années 80, pendant cinq minutes tous les matins sur Antenne 2 dans RécréA2, et dont le présentateur disait à chaque début « Chalut », et dont le nom est un extrait de la fin de la chanson du générique, lancé en octobre 1983, vous me dites : Téléchat !

En effet, cette parodie sérieuse d’une vraie rédaction de JT, est bien plus que cela, une véritable satire de la société de consommation. L’idée était de faire une émission télé tournant en dérision les vraies, à destination des enfants.

 

 Les auteurs de Téléchat, produit par les télévisions française et belge, n’en sont pas à leur première loufoquerie. L’un d’eux, Roland Topor, était scénariste mais aussi dessinateur, et n’hésitait pas à sortir des sentiers battus comme avec son dessin pour la couverture de l’Histoire de la merde de Dominique Laporte, dont je vous laisse imaginer la posture du personnage.

Avec la complicité d’Henri Xhonneux, et de Pierre Papadiamandis, compositeur qui a prêté ses talents à Eddy Mitchell entre autres, il fut le père du concept de Téléchat.

J’en présente ici quelques images tirées d’un livret avec cassette, achetés à l’époque par ma mère, avec deux épisodes édités ainsi, texte + son, le 45 tours était dispo selon le choix du client. En plus d’être ludique, le livret se voulait pédagogique afin d’aider le jeune auditeur « à acquérir des qualités de diction, d’orthographe et de style ». Rien que ça !

Chaque matin, on regardait Téléchat avant de partir à l’école, et comme nombre d’entre vous nous ne comprenions pas tout, ni les subtilités ni les allusions au monde des adultes et de leur société marchande.

Un générique déprimant ouvrait le bal, avec une maquette de ville et un train miniature passant sur un viaduc métallique au fond (le train ressemble à du matériel belge car il n’a pas la forme d’un diesel français), la caméra se rapprochait d’immeubles éclairés, sur le toit desquels un chat en peluche se balançait dans une chaise à bascule, devant une télé au logo Téléchat (un chat se tenant la queue qui fait le tour de l’écran) sur un fond au saxo, qui aurait pu être écrit par un homme dopé au Prozac©.

Plus tard, une autre saison avait un générique plus dynamique, filmé dans une grande ville belge, un hélico miniature aux couleurs de Téléchat volait et entrait dans un appartement… dont le décor était très « 80’s ». Enfin la dernière saison nous montre un sous-marin de poche dans un aquarium…

 


Le présentateur, à la voix proche de celle de Jean-Pierre Foucault, était un chat noir et blanc, Groucha, en veste tweed, assisté d’une autruche maquillée, Lola.

Chacun de leur reportage était déluré, interview d’une entité animée, comparable à un atome, le Gluon : on avait le gluon du galet, le gluon de la lune, le gluon du trou… Petit bonhomme rond sous forme de balle de ping pong en alu avec des LED pour faire robot moderne… Avec voix électronique of course. Star Wars avait montré la voie. Le gluon de la lune fait d’ailleurs une allusion au belge Hergé, en ayant sur la tête la fusée de Tintin, de l’album On a marché sur la lune.

Groucha sortait de son plâtre, qui lui remplaçait une main (et ne l’empêchait pas de conduire un cabriolet, bel exemple pour les jeunes), tout un tas d’objets et proclamait leur fête : « Aujourd’hui, Dendrevi 2, c’est la Saint Maison de Campagne, bonne fête à toutes les maisons de campagne ! », chaque jour un autre objet, la saint clé, la saint cornichon, la saint robinet, la saint rétroviseur, la saint laisse de chien, bref un peu dans l’esprit décalé de Pierre Dac.

 Comme vous le voyez les noms des jours de la semaine étaient aussi détournés, mais encore les objets du quotidien, tous animés : une cuiller, Sophie, une fourchette, Raymonde, un balai, Brossedur, un fer à repasser (Maître Duramou huissier) ou un téléphone, Durallo, avec le micro animé Mikmac et sa grande oreille, complétaient l’univers de Téléchat.

Groucha rendait hommage aux pare-chocs, qui encaissaient solidement les coups, sans reconnaissance de la société… Il faisait loufoquerie sur loufoquerie. Il a même suivi un sparadrap jusqu’au camion poubelle, en voyageant dans la benne, si ce n’est pas faire du terrain, ça !

Dans mon livret, les épisodes qui a démoli le réveil et le gluon de la lune sont assez représentatifs de la série : Groucha présente un jeu télévisé « Qu’est-ce qui a cogné le réveil ? », le seul jeu « où vous pouvez gagner du temps sans perdre de l’argent » ! Il propose une cagnotte en heures, et le jeu en est au point mort à sa troisième semaine de suite, les concurrentes sont les cuiller et fourchette précitées, des personnes téléphonent comme le « Banc bleu de la banlieue », qui découvre la solution : un coup de thon congelé a détruit l’objet, c’était la bonne réponse… et dixit Groucha, « si vous avez du temps à perdre, essayez de gagner du temps ». Comprenne qui pourra…

Le second épisode commence sur les galets en grève (jeu de mots avec la grève, la plage) se plaignant d’être mouillés puis secs de manière incessante.

Le reportage se poursuit vers la mer à travers un coquillage, puis vers la responsable des marées, la lune, d’où interview du gluon de la lune après le gluon du galet. Sans combinaison, avec Mikmac qui a le « mal de terre », il interroge le gluon qui répond qu’il fait sa « meilleure attraction » avec les marées, et que ça l’amuse. Il se fiche bien de ses frères gluon sur terre et « s’en bat l’œil » tout en reconnaissant qu’il est responsable de leur grève. Groucha quitte la lune en navette spatiale, avec correspondance pour un train, avant son bus…

Voilà, il y a eu d’autres livrets, très courts, mais incitant à regarder l’émission sur sa TV, avec à chaque fois des objets différents. Moins d’une demi-douzaine de livrets sont sortis, le but étant bien de fidéliser le téléspectateur. A noter qu’il existe également une série de figurines PVC ainsi qu’un cd musical.

 

Seulement, ces objets animés façon marionnettes de feutre et de caoutchouc, avec des voix spécifiques à chacune, faisaient peur à un grand nombre d’entre nous, pas seulement à moi et à ma sœur (des forumistes reconnaissent avoir eu des cauchemars), et vu l’esprit de l’émission, elle aurait dû être destinée aux adultes plutôt qu’aux enfants.

Quand le lapin nommé GTI, Grégoire de la Tour d’Ivoire, présentateur remplaçant Groucha, sorte de fils à papa snob, arriva à l’écran, Lola l’annonçait comme le neveu du directeur des produits NUL, marque qui fait vivre l’émission, son père travaillait à la prod, elle finissait par dire qu’il devait sa place ici uniquement à son talent, c’était évidemment une antiphrase qui dénonçait le piston, mais nous n’en comprenions rien… En fait la série pointait du doigt la mainmise de la pub sur les médias et le népotisme, la cooptation gangrenant les milieux de la TV. Et les questions d’audimat intéressaient-elles de jeunes enfants ? J’en doute, pas vous ?

Un singe vert stupide, Pubpub, incarnait la dérive vers la surconsommation en présentant maladroitement des frigos, des cuisinières ou une montre, d’une marque unique, la marque NUL (« la montre Nul, mieux qu’une pendule », « la cuisinière Nul, la cuisine en majuscule »), toujours sur le même thème musical, dans le même décor. Le spot de pub était envoyé quand Groucha et Lola étaient en difficulté sur l’antenne, comme pour faire une pause et détourner l’attention des téléspectateurs…

 

 

Une série ridiculisant les super-héros des jeunes avait droit de cité sur Téléchat, c’était Léguman (détournement de Superman, Spiderman, voir article de Max), présenté en direct du frigo palace (comme le Gaumont Palace, cinéma parisien disparu), un homme déguisé en un assemblage de légumes du potager, détruisant une caisse de supermarché qui faisait monter les prix…. fracassant un mixer…, étripant un aspirateur, il y en avait pour tous les goûts. On voyait un frigidaire s’ouvrir et se fermer après la séquence.

Bref Téléchat c’était une autre manière de voir les objets du quotidien.

Après diverses péripéties, l’émission se terminait dans un milk bar, et les présentateurs vedettes participaient ensuite à la chanson du générique, la Chorale de Téléchat, ainsi que d’autres personnages.  

Vous pouvez retrouver sur le net des extraits vidéo, voire des épisodes complets, le tout ayant été réédité en plusieurs DVD en 2004 puis en 2012.

La série a disparu un peu du jour au lendemain, selon moi, et elle est tombée relativement dans l’oubli, même si beaucoup de trentenaires s’en souviennent quand on leur en parle. Quelqu’un a même publié sur le web ce qui reste des marionnettes sorties des cartons : du caoutchouc desséché… Une expo s’est tenue à Tournai en 2010 sur marionnettes & télévision où l’on a pu voir les protagonistes de Téléchat conservés dans leur jus, sur un plateau factice. Et qui sait combien de fans ont dénommé leur chat Groucha quand celui-ci était d’un patron noir et blanc ? Si si cela a existé.

 

 Je pense que les créateurs de l’émission n’ont pas ciblé le bon public, et qu’ils auraient pu faire diffuser plus longtemps une série d’un tel genre, mais clairement destinée aux adultes, à la manière du Bébête Show et des Guignols de l’Info, à la carrière plus longue, et au succès incontestable. Mais dans Téléchat il n’était jamais question de politique.

Un esprit tordu, insouciant et acéré qui correspond bien à son époque, avec des inventeurs audacieux qui osaient pousser l’humour décalé assez loin, sans jamais faire dans la vulgarité, avec de multiples sous-entendus, ceci en trois saisons de 234 épisodes.

Une émission jeunesse qui mérite mieux que l’oubli, en dépit de plusieurs prix remportés en 1984-85 pour sa qualité de programme télévisé. Une chance aussi que les moyens et effets spéciaux de l’époque (blue box, décor en carton pâte) aient permis la réalisation de vraies marionnettes, au lieu d’une série insipide dessinée par ordinateur, vite digérée comme vite oubliée. Il ne vous reste plus qu’à vous faire offrir à Noël les trois coffrets de DVD !

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