Bien qu’ayant déjà consacré un dossier aux journalistes et présentateurs des journaux télévisés des années 80, Yves Mourousi est l’un de ceux qui méritaient un article dédié à leur carrière. Professionnel, bourreau de travail, innovant, mais aussi fantasque, fêtard, borderline, et sujet à controverses et à polémiques, Yves Mourousi était tout cela à la fois. Car derrière l’image sobre et stricte du présentateur, ces grandes lunettes sérieuses, ce “Bonjour !” confiant asséné chaque jour aux millions de téléspectateurs, se cachait un homme à la personnalité hors du commun, fragile, excessive.
Avec Yves Mourousi, tout va très vite, ça, vous allez vite l’apprendre ! Entré comme simple stagiaire sur France Inter en 1966 (il a alors 22 ans), il y gravira les échelons à grande vitesse, pour devenir l’immense présentateur que nous avons connu dans les années 70 et 80.
A peine arrivé à la Maison de la Radio, il s’y fait très rapidement remarquer pour sa capacité d’adaptation, mais surtout son culot. En une poignée d’années, il devient indispensable à France Inter, et finit par y présenter le journal de 13h dès 1971.
Juste après l’éclatement de l’ORTF, TF1 le débauche par l’intermédiaire de Christian Bernadac, l’un des artisans de la modernisation des Journaux Télévisés. Outre Mourousi, on lui doit également les recrutements de Roger Gicquel, Claude Pierrard et Jean-Claude Bourret.
Christian Bernadac propose à notre prodige d’intégrer son équipe, pour y présenter le journal de 13h en semaine, une véritable consécration. Yves Mourousi ne se fait pas prier, et le voici à la tête d’un des journaux les plus regardés de France, sans la moindre expérience de la télévision ! Mais qu’importe, rien ne l’arrête, surtout pas ce statut de nouvelle star de l’info. Dès sa prise de poste, il renouvelle le genre, et apporte de grandes innovations et des évolutions significatives au journal de la mi-journée.
Première évolution : la délocalisation hebdomadaire de son journal. Dès que les technologies le permettent, Yves Mourousi présente le JT de 13h en dehors des studios de TF1. Il choisit un lieu, régulièrement insolite, qui colle à l’actualité. Cela peut être en plein Moscou pour l’interview de Brejnev, dans un sous-marin, au cœur d’un bloc opératoire, ou sur un porte avion.
Deuxième évolution : la tenue n’est plus sacrée. Yves Mourousi était certes vêtu d’un costume strict et réglementaire. Mais exceptionnellement, il s’autorisait de sacrées fantaisies, et n’hésitait pas à porter une tenue déroutante. Ainsi s’affuble-t-il d’un imperméable en cuir et de lunettes noires le jour du coup d’état de Jaruzolwski en Pologne. Il arbore également un ravissant casque de chantier le jour de la privatisation de TF1 et de la prise en main de Bouygues (geste qui lui coûtera cher).
Troisième évolution : L’info, c’est du sérieux, mais pas que. Yves Mourousi laissa une grande place à la Culture dans ses journaux. Amoureux des arts, il n’hésitait pas à mettre en lumière des pièces de théâtre, de l’opéra, des expositions, ou à faire venir des comédiens pour réciter des vers. On a même vu Iggy Pop et Motorhead se donner en spectacle au 13H, vous imaginez ça chez Pernaut maintenant ??? De plus, preuve que le présentateur ne se prenait pas au sérieux, il n’hésitait pas à rire de lui. Tout le monde se souvient de son sketch avec Marie-Laure Augry chez Patrick Sébastien, déguisés en présentateurs punks bien déjantés, l’un des moments les plus hilarants de l’histoire de la télé, qui fait encore le bonheur des bêtisiers et autre best-of !
On se souvient aussi de son impertinence, voire de son insolence à l’égard de ses interviewés, et peu importe s’ils faisaient partie des grands de ce monde ! Poussant à fond son travail journalistique, et surtout en cherchant en permanence à poser la question qui titille (ou qui fâche), Yves Mourousi n’hésitait jamais à chercher la petite bête, à pousser ses interlocuteurs dans leurs retranchements. Pour lui, l’information devait être mise en scène, “spectacularisée”, pour captiver le public.
Preuve en est cette séquence inoubliable où, interviewant le Président Mitterrand, il posa ses fesses directement sur le bureau de Tonton en lui demandant s’il était chébran. Bon, nous apprendrons par la suite que cette séquence était prévue et répétée à l’avance par les conseillers en communication de Mitterrand. N’empêche qu’il fallait une sacrée paire de cojones pour tenir la dragée haute de la sorte au locataire de l’Elysée !
Un mot enfin sur ce ton, qu’on pouvait prendre pour de la décontraction, ou de l’arrogance, au choix. Présenter le journal assis sur son bureau, ou pire, en écrasant sa cigarette dans le cendrier juste devant lui, personne n’avait osé avant … et personne n’osera après. Arriver quelques minutes avant le début du JT sans prévenir, alors que tout le monde a la trouille qu’il ne vienne pas, faire tourner en bourrique les assistant et réalisateurs, se passer de notes et de prompteur, quitte à bafouiller sur quelques phrases … Yves Mourousi osait tout.
Et ça payait : 10 à 15 millions de téléspectateurs quotidiens au début des années 80, c’est énorme. Toutes ces innovations et ces fantaisies ont fait la force de ce journaliste hors du commun pendant des années, et l’ont conforté comme la première star du Journal Télévisé. Mais elles ont aussi causé sa perte … Car tout n’était pas rose dans la vie et la carrière d’Yves Mourousi.
Les proches du journaliste aimaient à parler de lui au pluriel : 2 personnes en une. Et c’était on ne peut plus vrai tant Yves Mourousi menait une double vie au sens propre du terme. Journaliste et présentateur le jour, il se métamorphosait la nuit en personnage haut en couleur, fêtard, accroc à l’alcool et aux drogues les plus dures. Homosexuel assumé (il ne le clamait pas mais il ne s’en est jamais caché), il était un habitué des boîtes gays de Paris, ainsi que des lieux de débauches les plus branchés de la capitale, où il aimait flirter, et multiplier les rencontres. Ce qui au passage lui assurera un carnet d’adresses impressionnant (oui, même Mireille Matthieu …)
Amoureux de la vie “à fond, à fond, à fond”, voulant vivre toujours plus vite, plus fort et plus intensément, il avait la hantise du temps perdu. Il repoussait constamment l’heure du coucher, ne se contentait que de quelques heures de sommeil par nuit (ou plutôt par matinée), et pour ce faire utilisait tous les moyens possibles pour repousser les limites du corps humain, y compris les moins licites.
Cette double vie, très peu connue du grand public à l’époque, était en revanche sue de tout le “milieu” médiatique des années 70 et 80. Yves Mourousi vivait dans un tourbillon, et avait une réputation de personne totalement ingérable, dans sa vie personnelle et professionnelle. Quelle ne fut pas la surprise de chacun quand il annonça ses futures noces avec la jeune et mignonne Véronique ! Et pourtant …
L’épisode de son mariage a été extrêmement douloureux pour lui, malgré toutes les joies que cette union lui a apportées. Annonçant fièrement ses fiançailles avec Véronique, il pensait trouver une sérénité et la stabilité qui lui manquaient. Mais pas grand monde n’a cru à cet amour aussi soudain que passionné, aussi sincère puisse-t-il avoir été. Tout d’abord, les parents de la promise, qui n’approuvèrent pas ce mariage, au point de ne pas s’y rendre. Pour Mourousi, ce fut un coup dur. N’ayant aucune famille de sang, se voir refuser d’entrer dans une famille de cœur fut ardu à encaisser.
Mais le plus pénible a été ce fameux mariage entre Coluche et Thierry Le Luron en septembre 1985. Le petit monde du show-biz peut être vraiment cruel parfois … En réaction au mariage d’Yves Mourousi, Thierry Le Luron et Coluche improvisent “leur mariage”, histoire tout d’abord de se faire un bon coup de pub, et surtout de dénoncer le soi-disant mariage bidon du journaliste. Thierry Le Luron veut régler ses comptes avec Yves Mourousi, et lui reproche de ne pas assumer ses préférences sexuelles. En gros, d’utiliser Véronique comme un alibi à sa bonne conscience …
C’est quand même cocasse, car Le Luron n’a jamais été non plus un modèle de transparence, il n’a jamais revendiqué son homosexualité (il ne fallait pas décevoir Maman), et a caché la vraie nature de la maladie qui l’a emporté en 1986. Mais que voulez-vous, tous les coups (bas) étaient permis, et c’est avec la complicité d’une bonne partie du show-biz français, dont plusieurs amis proches de Mourousi, que le faux mariage entre Coluche et Le Luron fut célébré, avec en ligne de mire l’humiliation en place publique faite au journaliste.
Quand j’étais môme, comme tout le monde j’ai rigolé en voyant les images de ces noces farfelues. En creusant un peu et en m’intéressant à la vie d’Yves Mourousi, je me suis rendu compte à quel point c’était pathétique. Coluche a certes manifesté quelques regrets de s’être prêté à cette mascarade. Thierry Le Luron, lui, n’a jamais rechigné à faire de la peine, tant qu’il y avait un bon mot, un bon sketch ou une promo à assurer.
Bref, là n’est pas le sujet. Yves Mourousi savoure tout de même le bonheur de la vie à deux, et bientôt à trois, puisqu’en juillet 1986 naît la petite Sophie, qui sera le second grand amour d’Yves Mourousi. Mais cette vie familiale et cette stabilité ne l’empêchent pas de poursuivre ses virées nocturnes et de mener grande vie dans les discothèques et les cabarets !
Côté professionnel itou : il refuse de changer d’un iota sa manière de concevoir le journalisme. Cette collusion permanente entre sa vie publique et sa vie privée agace à la longue sa hiérarchie. En 1981, TF1 lui “impose” ce duo avec la jeune Marie-Laure Augry, histoire de canaliser le journaliste, et apporter un peu de rigueur au journal de 13h. Cette idée fut payante, car cette formule fit les beaux jours des JT de TF1, et relance de plus belle la carrière et la longévité de Mourousi.
Mais c’est en 1987 que tout se gâte … TF1 se fait privatiser, Bouygues, Le Lay et Mougeotte débarquent à la tête de la première chaîne, et n’ont que faire des frasques du journaliste. Ils veulent soit changer la formule du Journal, soit changer le présentateur. Les années fric n’en ont plus pour longtemps, la crise économique s’installe. Un retour à plus de simplicité, moins de paillettes et de parisianisme est nécessaire. Une nouvelle époque audiovisuelle s’annonce, et il est urgent d’évoluer pour coller aux années 90 qui pointent le bout de leur déprime.
Et Mourousi répondra par l’insolence, chose à ne surtout pas faire avec ces requins du BTP !! Le coup du casque de chantier sur le crâne, déjà, faut reconnaître que ça partait mal 😉 Essayer de bluffer ses patrons en les invitant à une réception en grande pompe, non plus. Tenter un coup de poker en mendiant une interview à Mitterrand pour montrer l’importance de son carnet d’adresse ne les a pas non plus impressionnés.
C’est lors d’un JT hallucinant de février 1988 que la goutte d’eau déborda du vase. Invitant Johnny Hallyday à présenter une collection de vêtements dans son journal (déjà, cette publicité clandestine, c’était limite), il fait venir sa femme en direct, la fait venir sur ses genoux, l’embrasse, la laisse picoler, comme s’ils étaient dans une soirée entre potes … impensable.
Furieux, les boss de la Une font péter le communiqué quelques jours plus tard : Mourousi présentera son dernier journal le 18 février 1988. Le début de la fin pour ce trublion, qui, de toute façon, voyait ses audiences diminuer, des problèmes de voix et de santé dégrader ses prestations.
Dès lors, la vie d’Yves Mourousi ne fut plus la même. Courant après cette gloire passée, le présentateur ne retrouvera jamais un poste à la hauteur de sa prestigieuse carrière. Et s’aperçoit que nul n’est intouchable, et qu’une notoriété peut tomber aux oubliettes du jour au lendemain. Alternant les missions inconsistantes à la fin des années 80, les hauts et les bas financiers, il devient tout de même directeur des programmes et opérations extérieures à RMC. Mais en 1992, le plus grand drame de sa vie le frappe. A la fin d’une soirée à son domicile, où tous ses amis étaient venus fêter ses 50 ans, sa femme Véronique s’écroule, inconsciente. Transportée à l’hôpital, elle décédera quelques jours plus tard, après plusieurs tentatives désespérées pour la sauver. Les médecins parleront d’une méningite foudroyante. Elle est enterrée le jour des 50 ans d’Yves Mourousi.
Plus rien ne sera jamais pareil. Yves Mourousi perd le goût de toutes les bonnes choses qu’il affectionnait auparavant : la fête, les amis, les bons repas, les soirées mondaines … il se réfugie dans une solitude, entre deuil impossible à faire, et nostalgie de ses belles heures cathodiques parties à tout jamais. Et ce téléphone qui ne sonne plus, et ce carnet d’adresse qui devient vide, à l’image de son agenda … Triste fin pour celui qui a été une telle icône médiatique.
Il tenta bien de reprendre du poil de la bête à la fin des années 90. Programme de remise en forme, reprise de contact avec la profession, il se bat comme un beau diable pour retrouver son lustre d’antan à la télévision. Mais à un moment donné, le corps dit Stop. Trop de tabac, d’alcool, de drogues, d’excès, font que ce qui passait à 30 ans ne passe plus à 55 ans. Le 7 avril 1998, il est pris d’un malaise cardiaque. Fausse alerte, croit-il en raccompagnant les pompiers. Mais quelques heures plus tard, un nouveau malaise le terrasse définitivement, laissant la petite Sophie orpheline, et un public sous le choc.
Le public gardera bien ancrée dans sa mémoire le souvenir du présentateur emblématique de nos années 80. Indissociable de son époque, faite d’actualité brûlante, de spectacle, de fric, d’excès et de paillettes. Il gardera moins le souvenir de celui qui, du jour au lendemain, est tombé de son piédestal, et qui, sans totalement retomber dans l’anonymat, s’est retrouvé ruiné à plusieurs reprises, et qui à la fin de sa carrière a du faire des animations commerciales, des tombolas et autres foires dans les supermarchés pour bouffer à la fin du mois.
Mais il n’y a rien de honteux là dedans, bien au contraire. Yves Mourousi laissera l’image d’un professionnel incomparable, un bourreau de travail. Quelqu’un capable d’arracher une interview aux plus grands de ce monde, et capable de donner le goût de l’information, au grand public, en sachant captiver son auditoire. Quelqu’un capable de chanter à tue-tête à 3h du matin en slip clouté dans une boîte de nuit miteuse, et quelques heures plus tard de parler géopolitique internationale avec tel ou tel ministre 🙂 . Tout cela est bien loin des émissions de reportage sur la France rurale diffusées depuis quotidiennement, et qui ont le prétentieux culot de se nommer “Journal de 13H”, présentés par des “animateurs” au sourire béat, qui sont au journalisme ce que ma grand-mère est à la physique quantique.
Il y a quelques années, lors d’une interview que notre ami Claude Pierrard avait eu la gentillesse de m’accorder, à la question de savoir qui, dans sa riche carrière, l’avait véritablement marqué, celui-ci avait répondu sans hésiter Yves Mourousi. Claude Pierrard avait loué son professionnalisme, sa loyauté, son audace, et sa façon de se vouloir toujours en avance sur son temps, sur le plan technologique, et sur le plan de l’attitude. Je vous propose d’écouter ce passage sur le lien suivant (le passage sur Yves Mourousi est dans la 1ère partie) : Interview de Claude Pierrard
Nous avons tous une histoire à raconter avec Yves Mourousi. Il nous a accompagné quotidiennement, nous a “raconté” l’information, alors même que nous ne comprenions pas grand chose avec nos yeux d’enfant. Chaque midi, il nous surprenait avec son fameux “BONJOUR !”, et sa voix rauque. Pour ma part, je me souviens que quand j’avais 3 ou 4 ans, quand je le voyais au poste, je le prenais pour mon grand-père, qui avait peu ou prou les mêmes lunettes et la même coiffure 😉 Et avouez maintenant que vous avez aussi râlé après ses journaux à rallonge, quand on trépignait d’impatience devant le poste en attendant nos émissions jeunesse du mercredi après-midi. En sachant qu’en plus, il fallait se coltiner les cours de la Bourse avant d’avoir droit aux Visiteurs du Mercredi ou Vitamine !!!