Renaud, le chanteur énervant ! (Partie 2)

C’est reparti pour un tour au milieu des années 80 ! Après s’être remémoré les premiers albums de Renaud, garons notre Simca 1000 auprès d’un arbre en bois, et enchaînons sur la suite de sa carrière. Nous sommes en 1985, et le chanteur énervant s’apprête à frapper très fort.

Pour nos amis qui nous rejoignent en cours ou ceux qui ont oublié notre précédent article, nous vous rappelons que nous avons choisi cette semaine de privilégier le côté lié à la jeunesse et à la nostalgie dans les textes de Renaud, que je vous propose donc de (re)découvrir avec nos souvenirs personnels.

1985 est une année bien chargée pour Renaud. Tout d’abord par le projet “Chanteurs sans frontières”, et son méga tube “Chanson pour l’Éthiopie” ! Renaud avait voulu en faire une aventure entre potes. Il a contacté ses amis, qui ont contacté leurs amis, etc … pour au final réunir une quarantaine d’artistes pour la première chanson caritative française, qui allait être suivi de bien d’autres (le Sampan, Restos du Coeur, Arménie …).

Composée par Franck Langolf et écrite par Renaud, cette chanson est devenue un des singles les plus vendus en France, et a rapporté des millions de francs pour Médecins sans Frontières, permettant de sauver des centaines, voire des milliers de personnes de la famine et du manque de soin.

Cette chanson, je l’ai écoutée des centaines de fois. Avec les copains, on en était fous ! On avait recopié les paroles sur nos cahiers, on les avait apprises par coeur, et on chantait en même temps que le poste de radio, ou que le maxi 45 tours. Elle fut emblématique de mon enfance, et révélatrice d’une réalité dont je n’avais pas conscience : pendant que je jouais au foot et à la console avec mes voisins, des gosses moins chanceux crevaient de faim à quelques milliers de kilomètres.

Renaud enregistre ensuite son album phare : “Mistral gagnant”. Que dire sur cet album qui soit original et pertinent ? Tout a déjà été dit. A commencer par la chanson-titre qui pourrait être l’hymne de notre site internet tant le chanteur nous y confie la nostalgie de son enfance. Plus qu’une chanson pour sa fille, c’est un cri d’impuissance face au temps qui passe et qui ne reviendra pas. Des bonbecs piqués chez le marchand au temps assassin qui emporte avec lui les rires des enfants … chaque mot, chaque vers transpire la douce mélancolie. Ce titre est devenu depuis un grand classique de la chanson française.

En voici une version live, à l’époque où le public n’utilisait pas de vulgaires téléphones portables pour « faire une ambiance intimiste » pendant les chansons douces, mais des vrais briquets, qui nous brûlaient les ongles, et nous niquaient les doigts …

 

Mais sur Mistral Gagnant, on trouve aussi beaucoup de chansons où les sentiments de Renaud, sans être violents ou virulents, n’en sont pas moins désemparés et même fatalistes. Ainsi, “Fatigué” est une ode écolo envers la planète Terre qui meurt à petit feu, ruinée par l’être humain à force de guerres et de pollution, alors que “Morts les enfants” se lamente de la bêtise adulte qui fait tant de victimes jeunes et innocentes.

Cet album contient aussi une des chansons les plus poignantes qu’il ait jamais écrites : “Petite conne”, l’histoire aussi belle que triste d’une jeune amie morte d’une overdose. Et bien sûr « Miss Maggie », une très belle déclaration d’amour envers les femmes, que malheureusement les médias (et une bonne partie du public) ont interprété comme un couplet anti-britannique.

L’album, sorti début 1986, remporte un incroyable succès. La tournée qui suit, “Le retour de la chetron sauvage” n’en est pas moins triomphale, et déplace des milliers de fans en perfecto, bandana et santiags. On peut considérer que Renaud est alors à son apogée artistique et commerciale.

Mais, alors que tout semble aller pour le mieux, la déprime ronge l’artiste, les désillusions se succèdent, et la mort lui arrache ses amis. La disparition de Coluche, en juin de la même année, le meurtrit au plus haut point et le rend totalement orphelin.

Renaud se réfugie dans l’écriture d’un nouvel album qu’il appellera “Putain de camion”, en souvenir de vous-savez-quoi. L’album sort en 1988. Renaud, qui sent son “personnage” lui échapper, annonce que cet album paraîtra sans promotion, excepté une tournée et quelques émissions. Il se sent las, et refuse d’être prisonnier de l’image du loubard ou du chanteur engagé qu’on veut lui faire endosser à tout prix. Résultat : l’album se vend beaucoup moins que les précédents, et pourtant, croyez-moi, il est sacrément sous-estimé.

“Putain de camion” est très important pour moi, car il sort au moment où je deviens vraiment fan. On a 12 ans, l’âge de comprendre la plupart de ses messages, et accessoirement de connaître par coeur pas mal de chansons. “Jonathan”, écrite en l’honneur de Johnny Clegg, “Il pleut”, “La mère à Titi” nous accompagnent sur le chemin du collège. J’ai eu l’agenda Renaud pour la rentrée, avec les photos du chanteur, les paroles de ses chansons, nous manquait plus que les santiags pour frimer à la récré !  😉

L’album contient aussi une chanson très importante à mes souvenirs : “Petite”. Cette ritournelle est dédiée à VOUS, mesdames de 40 ans, qui en 1988 étiez de jeunes demoiselles qui se ruaient vers ses concert : le stéréotype des minettes de 15 ans, 16 ans à peine, toutes avec la petite main jaune au revers du zonblou, le keffieh sur l’épaule, et bien sûr la photo du chanteur dans votre piaule. Quand j’écoute cette chanson, je me retrouve direct dans la cour de mon ancien bahut. J’étais en 5ème, et ça m’amusait de vous voir, les grandes de 3èmes, vous pavaner avec cette cassette. Vous vous maquilliez et mettiez des soutien-gorge, des vrais, sans Kleenex dedans, et vous passiez cette chanson au magnétophone dans le bus, à la récré ou en salle de permanence, pas peu fières d’avoir VOTRE chanson, rien qu’à vous !  🙂

“Putain de camion” est vraiment l’album de Renaud qui m’a apporté le plus de souvenirs. J’avais enregistré le Live “Visage pâle rencontrer public” au Zénith qui passait à la télé, avec cet énorme arbre en guise de décor … Je l’ai visionné tous les mercredis et samedis pendant plusieurs mois.

C’est aussi la période où Renaud s’engage un peu plus politiquement et soutient publiquement François Mitterrand en achetant une pleine page dans le Matin de Paris pour l’encourager à se représenter aux élections de 1988. Que l’on soit sensible ou non à ces opinions politiques, qui ne se souvient pas du fameux slogan “Tonton, laisse pas béton !” ? Car plus que le socialisme, qui a quand même largement déçu Renaud depuis 1981, c’est l’homme qui fascine le chanteur, au point de lui dédier une chanson en 1991.

Les années 80, celles du mega succès et des tournées géantes, s’éloignent petit à petit pour Renaud, qui sort deux albums dans les 90’s. Renaud ne le sait pas encore, l’âge d’or est terminé, et ne reviendra que très tardivement.

Le premier de ces deux albums est “Marchand de cailloux”. Pour l’occasion, Renaud remise définitivement au placard bandana et santiags, lassé de voir ses clônes peupler les 20 premiers rangs à chacun de ses concerts. Il part enregistrer ses titres à Londres, et s’imprègne de nouvelles influences.

Le résultat est mitigé pour la critique, et les ventes de l’album peinent à décoller. Dommage, il aurait mérité plus d’indulgence de la part du public. Même si effectivement, les mélodies sont moins percutantes, même si certains textes sont un peu justes, niveau musical, c’est un régal !

Des mélodies celtiques, et même country sont intégrées, l’accordéon effectue même un joli retour. Un amour de chanson nostalgique parlera à tous ceux qui sont sensibles aux souvenirs d’enfance : “Les Dimanches à la con”. Renaud nous raconte ses 10 ans, les bastons avec ses frangins, les blancs de poulet découpés par sa mère, le petit volcan dans la purée, la pipe en terre de tonton … et un truc qui va vous paraître tout con, mais qui me fait tilt à chaque fois : le bruit de la machine à coudre dans le salon. (Merci maman !). Cette chanson décrit à merveille tout ce qui a fait notre enfance, les odeurs, les sensations, les anecdotes … Incontournable pour tous ceux qui regrettent le bon vieux temps.

Mais pour ma part, c’est une autre chanson que je trouve touchante : “C’est pas du pipeau”. Beaucoup trouveront qu’elle n’a rien d’extraordinaire, mais moi, j’y peux rien, je l’écoute à l’envi. Cette douce berceuse, susurrée à l’oreille de sa fille, est à 1000 lieues du Renaud loubard et teigneux qu’on a connu, le brave papa protecteur donnant des conseils à sa fille, et lui demandant de prendre garde aux dangers de la vie. Je souhaite d’ailleurs partager ces quelques lignes avec vous, parmi les plus belles à mon avis que le chanteur ait pu écrire :

“Y a que les enfants, qui savent aimer, les loups noirs ou blancs, qui nous font trembler

Tu sais que les grands, ceux qu’on sera jamais, méprisent souvent les chiens sans collier

Leur préférant même les agneaux pour peu

Qu’ils plient sous les chaînes, et bêlent comme eux.

C’est pas des histoires, c’est pas du pipeau,

Fais gaffe à jamais suivre les troupeaux.”

Des poésies comme celles-ci, moi, je les aime d’amour ! “Marchand de cailloux” contient bien d’autres chansons qui méritent le détour, comme “Tonton”, “500 connards sur la ligne de départ”, et bien sûr “La balade Nord Irlandaise”.

L’album suivant, “A la Belle de Mai”, sorti en 1993, en contient aussi de très belles. Et pourtant, l’album passe presque inaperçu. Sans doute la faute au manque de punch des titres, l’album étant totalement acoustique. Sans doute aussi parce qu’on sent que Renaud perd pied, on le perçoit si désabusé. Que ce soit pour dénoncer les programmes scolaires indigestes (“C’est quand qu’on va où”), où les haut gradés militaires (“La médaille”), rares sont les moments qui sentent la joie de vivre et l’insouciance.

Mais surtout, un autre amour de chanson nostalgique, “Le Sirop de la rue”, nous est proposé. Les genoux barbouillés de mercurochrome, les jeux sur la plage, l’insouciance des vacances et des châteaux de sable … de nouveau, toutes les composantes de l’enfance et d’une nostalgie à couper au couteau sont réunies. Ce style de chanson nostalgique devient de plus en plus fréquente dans le répertoire de Renaud, au fur et à mesure que l’âge avance. Renaud se rend compte qu'”après l’enfance, c’est quasiment fini”, et aimerait revenir à ces moments …

 

La fin des années 90 sera plus sombre … à part une série de concerts qui donnera un autre excellent live “Paris Province”, le chanteur s’enfoncera un peu plus dans la déprime, il divorcera, et se laisse peu à peu aller … le reste, j’imagine que vous le connaissez. Je n’ai pas envie de revenir dessus, libre à vous de retrouver des Voici ou des Gala d’époque si ça vous chante.

Un retour inespéré le replace tout en haut de l’affiche au début des années 2000, aux sommets qu’il n’aurait jamais du quitter. “Boucan d’Enfer” bat des records de vente, Renaud s’y livre totalement, et entreprend sa thérapie avec son public.

Ses chansons sont intimistes à la limite du voyeurisme, et on se rend compte à quel point la tristesse et la déprime l’ont inondé durant de longs mois. Mais ça marche, l’artiste reprend goût, porté par un public fidèle, un nouvel amour, et des potes toujours là. Une véritable renaissance, et l’occasion pour moi à l’époque de redécouvrir son oeuvre de plus belle. Je vous explique.

Ayant vécu en région parisienne à ce moment là, je me plaisais à redécouvrir ces endroits qu’il décrivait si bien. J’aimais me ballader près de chez moi, le walk man vissé sur les oreilles, et piger exactement ce qu’il voulait dire quand il chantait “Chante Rouge Gorge le temps des cerises, Savigny sur Orge paraitra moins grise”, en déambulant dans les petites rues de cette banlieue. Tout comme ça m’amusait de réécouter le “Tango de Massy Palaiseau”, en parcourant la passerelle qui mène de la ligne B à la ligne C du RER … ou “Les aventures de Gérard Lambert”, coincé à Rungis. Renaud m’apportait à l’époque une bonne dose de réflexion sur notre société, la politique, l’amour, la tendresse … Que ce soit dans la voiture, dans la rue, j’avais du mal à sortir sans un de ses albums. Je découvrais de nouvelles choses à chaque écoute, bien plus qu’à l’âge de 12 ans.

Et de nos jours, c’est la même chose. Pour les besoins de cet article, je me suis replongé dans sa discographie (z’inquiétez pas, je ne me suis pas forcé 😉 ). Et je me suis aperçu que certaines chansons, qui me plaisaient moyennement quand j’étais ado, me transportent d’émotion aujourd’hui. Les années passent, les chansons préférées changent, mais l’admiration pour le bonhomme reste intacte. Un bonhomme souvent décrié, qu’on aime ou qu’on aime pas, mais à qui on ne peut pas reprocher d’avoir renié ses valeurs, ou de s’être compromis de quelque manière que ce soit.

En 2006, Renaud sort un album, “Rouge Sang”, bien accueili, mais un cran en dessous de “Boucan d’Enfer”. Une grande tournée suit, et tout le monde attend Renaud de pied ferme pour d’autres aventures.

Malheureusement, les années suivantes ont été rudes pour les fans du chanteur. Le Renard est revenu s’incruster de plus belle, et a replongé pendant de nombreux mois dans ses vieux démons. et tout le monde a bien cru que cette fois-ci, c’était fini, plus jamais Renaud ne se manifesterait.

Et ben c’était mal le connaître ! Il nous est revenu contre toute attente ! Plus grand, plus beau, plus fort … nan, faut pas exagérer 😉 Mais heureux d’être là, avec son public, ses potes, ses musiciens, et son nouvel album sous le bras. Toujours vivant, toujours debout, il avait visiblement encore des choses à dire ! En espérant que nous puissions profiter encore longtemps de son immense talent.

Alors mecton, si t’es pas un con, si t’es pas bidon, laisse pas béton ! On t’aime, comme on aime la Kanterbrau (poil au dos), et on s’en jette une à ta santé ! Et si t’es mon pote, tu m’laisses pas boire tout seul …

 

 Pour la première partie de la carrière de Renaud, c’est par ici : Renaud, le chanteur énervant Partie 1. Vous pouvez également découvrir une photothèque concoctée par nos soins, avec des photos inédites tirées de magazines d’époque.

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