Le téléphone sonne toujours deux fois : les grands débuts des Inconnus !! (1985)

Cela faisait une bonne paire d’années que je souhaitais parler des Inconnus. Mais pas n’importe comment. D’abord parce que leur immense succès ne s’est manifesté qu’à l’aube des années 90.

 

Et ensuite parce que j’avais pas envie de ressasser les trucs habituels entendus 1000 fois, du genre vous apprendre à distinguer le bon chasseur du mauvais chasseur, demander à Ingrid si elle baise, convenir qu’il est tellement plus mieux d’éradiquer les tentacules de la déréliction, ou d’attendre que Manu veuille bien descendre.

 

J’avais envie de vous parler des Inconnus en sortant du carton à poussière un film, malheureusement très méconnu, et qui mérite largement que vous posiez dessus un oeil, une oreille, et toute votre attention. Car ce film scelle officiellement les grands débuts de cette troupe mythique, alors qu’ils étaient encore 5, qu’ils étaient vraiment inconnus au sens propre. Et parce que ce film de 1985 transpire les 80’s. Ce film, c’est “Le téléphone sonne toujours deux fois”.

 

Nous allons en parler en détail, mais effectuons tout d’abord un petit retour en arrière ; nous allons nous installer sur les strapontins du Petit Théatre de Bouvard, fief d’une fine équipe de jeunes comiques.

 

C’est en effet en 1982 que le papa des Grosses Têtes débarque sur Antenne 2 avec un concept inédit consistant à donner leur chance à de jeunes humoristes, quotidiennement, juste avant le journal de 20 heures.

 

C’est donc là que l’aventure des Inconnus débute. Quelques jeunes comédiens, originaires des 4 coins de notre pays, décident de monter à la capitale pour percer. Les auditions sont dures, le taulier est exigeant, mais la recette fonctionne parfaitement : le mélange des personnalités cartonne sur la deuxième chaîne, et permet à de futurs grands du rire d’éclore, tels que Mimi Mathy, Michelle Bernier, Laspallès et Chevalier, ou Jean-François Derec.

 

L’émission permet aussi à 5 trublions de créer des liens : Bernard Campan, Pascal Légitimus, Seymour Brussel, Smaïn Faïrouze, et Didier Bourdon. Aucun des cinq n’est vraiment un débutant, chacun possédant une (petite) expérience dans le café-théatre ou le one-man show. C’est donc sans surprise que leurs sketchs chez Bouvard sont rapidement très populaires, et que le public commence à s’intéresser à eux.

 

L’aventure du Petit Théâtre dure deux ans. Forts de leur notoriété grandissante, nos 5 bonshommes déploient leurs ailes et quittent le cocon Bouvardien en 1984, pour se consacrer à une carrière qui s’annonce prometteuse. L’équipe se nomme alors … “Les Cinq”, nom dont l’originalité est inversement proportionnelle à leur talent, vous en conviendrez.

 

Le premier projet du groupe n’est pas un spectacle, ni même une pièce de théâtre, mais un film. Un vrai long métrage, avec de grands acteurs confirmés. L’avantage de galérer quelques années à Paris à faire le comique, c’est que le jour où on perce, le carnet d’adresse est déjà bien rempli !

 

Les Cinq parviennent donc à mettre sur place ce projet, trouvent un réalisateur en la personne de Jean-Pierre Vergne, et des noms reconnus du cinéma et de la télévision, tels que Jean-Claude Brialy, Michel Galabru, Patrick Sébastien, Jean Yann ou Darry Cowl.

 

Le scénario, lui, est écrit par presque toute la troupe : Campan, Bourdon, Légitimus, Brussel et Jean-Pierre Vergne, Smaïn (qui avait probablement déjà envie d’aventures en solo) ne se contentera que de faire l’acteur. Et même si on est encore assez loin des sketchs mythiques des Inconnus, avec le recul, on se rend compte que le film est une excellente introduction à ce qu’ils deviendront par la suite.

 

L’histoire est totalement loufoque, et n’est qu’un prétexte pour mettre en scène l’humour à part des “Cinq”. Le film raconte l’histoire de Marc El Bichon (Didier Bourdon), un détective privé pathétique, à la recherche d’un gros coup qui lui apportera une reconnaissance mondiale. Son rêve est de résoudre une enquête complexe avant la Police pour prouver ses compétences.

 

Ça tombe bien, car un fait divers sanglant paralyse la ville. Un tueur en série assassine des femmes, selon un rituel précis : il les appelle d’une cabine, laisse les victimes décrocher et s’impatienter sans rien dire, puis les rejoint à leur domicile en les tuant à coup de téléphone, en plantant le cadran dans leur crâne. Je vous avais dit que c’était loufoque, hein, ne venez pas vous plaindre 🙂

 

La Police est sur les dents, le Commissaire (Jean-Claude Brialy) ne parvient pas à mettre le criminel sous les verrous. L’occasion rêvée pour Marcel Bichon (oui, c’est son vrai nom) de prouver ce qu’il vaut. Pour ce faire, il se fera aider de son ami Franck Potin (Seymour Brussel), patron d’un troquet miteux, et de Blacky (Pascal Legitimus), un animateur de radio libre raté dont les auditeurs doivent se compter sur les doigts de la main d’un manchot. Se joindront à l’aventure Momo (Smaïn), l’homme à tout faire de Bichon, et Ugo (Bernard Campan), un reporter également aux trousses du tueur.

 

D’endroits glauques en lieux sordides, de bars pourris en discothèques craignos, nos 5 enquêteurs tenteront de résoudre ce mystérieux puzzle, et ainsi sauver la victime finale, une chanteuse de bas-étage interprétée par Clémentine Célarié.

 

Je ne vais pas vous raconter l’intrigue, cela aurait bien peu d’intérêt, car tout ceci est bien barré. En revanche, il est très intéressant de s’attarder sur les gags intermédiaires, et le ton du film, résolument tourné vers le second degré.

 

Quelques critiques, d’hier ou d’aujourd’hui, font mauvaise presse de ce film. C’est parfaitement compréhensible. Car en effet, il est difficile d’apprécier ce film si on est hermétique à l’humour de Didier Bourdon et son équipe, ou si on ne supporte pas les gags sans queue ni tête qui font plus reculer l’intrigue qu’ils ne l’enrichissent (comme l’ont fait depuis “La Cité de la Peur”, ou les “Pamela Rose”).

 

“Le téléphone sonne toujours deux fois” est une parodie de film de série noire. Un hommage à peine déguisé au grand classique “Le facteur sonne toujours deux fois” de Tay Garnett sorti en 1946. Il nous plonge dans une ambiance assez déroutante, mais extrêmement intéressante. Un mélange du New York des années 40, celui des privés à la Mike Hammer, des rues sombres et des clubs enfumés, et du Paris des années 80, ses néons, ses paillettes … et sa technologie.

 

L’atmosphère jongle ainsi d’une scène à l’autre d’un environnement polar presque en noir et blanc aux couleurs vives des cabarets et métissages de la capitale. Le pari était risqué, mais la réalisation est maîtrisée. La lumière et l’esthétique sont une vraie réussite, et pour le peu qu’on aime les ambiances kitsch et les décors un brin ringards, ce film est un plaisir visuel. Tout en se moquant de son époque, il assume complètement ce milieu des années 80 qui voit se dérouler son scénario, en utilisant chacun de ses accessoires pour en faire un gag qui tient la route (les cabines téléphoniques, les vignettes auto, …).

 

Les auteurs tournent aussi en dérision les clichés de l’époque, comme la mode du porno-rigolo et ses titres hilarants, ou les animateurs de radio libres se voyant déjà stars alors que personne ne les écoute.

 

Pour finir avec cette atmosphère à part, sachez que la bande son est très bien choisie, résolument new-wave, froide et décalée, à l’image du film. J’en veux pour preuve la chanson officielle du film, interprétée par les “CatCar & Co”, qui n’est rien de moins que le nom choisi par les (futurs) Inconnus quand, suite au départ de Smaïn, ils se retrouveront à 4.

 

 

 

Vous l’aurez compris, je suis fan de ce film, qui ne se prend absolument pas au sérieux, et nous délivre un humour bien plus fin qu’il n’y parait. Jamais en dessous de la ceinture, les gags oscillent entre le burlesque et la blague Carambar, et font régulièrement mouche. Certains passages sont même vraiment géniaux, et se montrent les dignes prédécesseurs des grands sketchs des Inconnus. Beaucoup de répliques sont d’ailleurs excellentes. Rien que le “Tout seul, j’étais pas assez nombreux” de Bourdon vaut le détour 😉 .

 

Cerise sur le gâteau, “Le téléphone sonne toujours deux fois” nous montre à quel point ces jeunes comiques tiennent la route devant la caméra, et tout particulièrement Didier Bourdon qui s’affirme déjà comme l’incontournable du groupe. A noter également la belle prestation de Seymour Brussel, qui laisse quelques regrets quand on sait qu’il a quitté l’aventure des Inconnus juste avant leur explosion. Je suis curieux d’imaginer ce que certains sketchs hyper connus auraient donné avec lui.

 

Bref, l’essai est plus que concluant. Pour un premier film, les auteurs montrent qu’il est possible de ne pas se prendre au sérieux, tout en maîtrisant le sujet. Sorti en janvier 1985, le film n’a pas vraiment cartonné (et on peut le comprendre tant il est différent des comédies françaises de l’époque), mais a permis aux Cinq d’acquérir une expérience fort honorable. Malheureusement, Smaïn quitte la troupe quelques mois plus tard pour entamer la carrière à succès qu’on lui connaît.

 

Les Cinq se renomment alors en “CatCar & Co”, et préparent leur spectacle. En 1986, une rencontre change leur vie : Paul Lederman. Ce découvreur de talents devient leur producteur, et les lance dans le grand bain. Les CatCar & Co deviennent “Les Inconnus”, et mettent en place leur premier spectacle, “Au secours, tout va bien !”. De ce spectacle, il ne reste guère de traces, puisqu’il n’a jamais été édité en VHS ni en DVD (quand on connaît les problèmes de droits qui ont opposé plus tard la troupe à leur producteur, on comprend mieux pourquoi).

 

Le succès commence à frapper à la porte avec insistance, les médias s’intéressent aux 4 Inconnus qui le deviennent de moins en moins. En 1987 et 1988, Europe 1 leur offre une heure d’antenne quotidienne, de 15h30 à 16h30, pour une émission “Les Inconnus de l’après-midi”. M6 diffuse également leur spectacle en 1988, permettant au Grand Public de les découvrir. 1988 voit aussi le quatuor se transformer en trio. Seymour Brussel quitte les Inconnus, et après une tentative de carrière solo bien foirée, change radicalement de voix et devient bio-énergéticien.

 

En 1989, désormais à 3, les Inconnus battent le fer tant qu’il est chaud, et proposent au public un nouveau spectacle : “Au secours, tout va mieux”. Qui, comme je l’ai indiqué un peu plus haut, reprend essentiellement des sketchs de leur précédent spectacle, mais en les agrémentant de passages encore plus savoureux. Et là, c’est l’explosion. Ils deviennent très vite les chouchous du public. Patrick Sébastien les invite dans son “Sébastien, C’est Fou”, pour y interpréter quelques sketchs. Ce fut d’ailleurs mon premier contact avec eux. La Cinq s’empare aussi du phénomène, sponsorise le spectacle, et en diffuse des extraits juste avant et juste après le Journal de 20h, à une heure d’écoute maximale.

 

Impossible de ne pas cartonner dans ces conditions. Télémagouille devient un tube dans les cours de récré des collèges et lycées, et sort même en 45 tours.

 

La suite, vous la connaissez : Le Cid, Les Flics, la ZUP (Hey Manu, tu descends ?), la Révolution (A mort, Louis Croix Vé Baton !), etc … “Au secours, Tout va mieux” devient immédiatement un très grand succés. Ce succès devient immense lorsque “La Télé des Inconnus” débarque sur Antenne 2 en 1990. Tournez Ménage, les Chasseurs, Biouman, le RAP Tout … la liste des sketchs qui ont ont fait pleurer de rire est interminable … D’humoristes triomphants, les Inconnus deviennent un phénomène de société.

 

On va s’arrêter là, si vous le voulez bien. Le but de ce modeste article n’est pas de répertorier la liste de tous les sketchs, chansons, émissions, films et spectacles de la troupe, mais de vous expliquer comment est né au début des 80’s cet esprit, cet humour frais et nouveau, qui a conquis la France entière pendant presque 10 ans.


Alors, oui, regardez encore et encore le “Bocou Meilleur des Inconnus”, achetez les DVD des spectacles et des films, apprenez les chansons par coeur … mais si vous en avez l’occasion, visionnez “Le téléphone sonne toujours deux fois”. Vous y découvrirez les grands débuts d’une aventure, le point de départ d’une des plus belles pages de l’humour français. Et qui selon les dernières nouvelles, va reprendre du poil de la bête très vite !!!! Cé votre destain !! (désolé, pas pu m’empêcher :P)

 

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1 Commentaire

  1. Un film culte pour moi, découvert en 1997 en deuxième partie de soirée. J’ai du le visionner une bonne cinquantaine de fois depuis. Ton article est excellent, je le découvre un peu tard, mais je remate le film justement aujourd’hui (trouvé en dvd il y a quelques années sans aucun bonus hélas), et je me demandais si on pouvait trouver des articles dans ce style sur le Ouaib, j’ai partagé sur fb en espérant t’attirer une ou deux visites de plus

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