Renaud, le chanteur énervant ! (Partie 1)

Sur un site comme Eighties.fr, rendre hommage à un artiste ayant traversé plusieurs décennies avec succès n’est jamais évident. C’est facile de se moquer de pauvres chanteurs éphémères symptomatiques de nos belles années 80, mais parler d’une grande figure de la chanson, sans tomber dans les banalités et le “vu et revu” est déjà moins évident.

Alors pourquoi un article sur Renaud, alors que des dizaines de sites lui sont consacrés, et que tout ou presque sur lui a été dit, répété, entendu ?

Tout d’abord parce que nos articles sont guidés par nos coups de coeur, nos affinités et nos souvenirs. Ensuite, parce que ce n’est pas un scoop, c’est dans les années 80 que Renaud nous a offert la plupart de ses plus belles poésies, de ses plus grandes colères. Et surtout parce que Renaud a gardé bien ancrée en lui cette nostalgie de l’enfance, et une énorme tendresse envers les personnes, les lieux, les souvenirs qui l’ont façonné, et qui l’ont fait grandir il y a plusieurs décennies.

Ainsi, parmi vous, habitués ou non de nos pages internet, des “Renaud”, il y en a plein. Pas forcément chanteurs, poètes ou compositeurs, mais des grands gosses qui repensent souvent à une époque qui ne reviendra pas, qui ont du mal à comprendre la décennie où ils vivent, ce monde d’adultes. Et qui apprécient de se réfugier dans ce cocon de l’enfance, ces souvenirs doux et sucrés, ces moments d’innocence.

Vous vous doutez bien que j’en fais moi-même partie, et qu’en plus des côtés drôles ou contestataires de Renaud, je suis particulièrement sensible à son amour immodéré pour l’enfance, et la manière dont il évoque la sienne. Cet article tentera donc de privilégier cette facette de la carrière de l’artiste, celle qui reflète notre univers. On évitera donc de parler encore des chansons ultra connues comme “Dès que le vent soufflera”, “Marche à l’ombre” ou “Laisse Béton”, d’excellentes chansons au demeurant, mais que d’autres aborderont mieux que nous.

Alors, que vous soyez un camarade bourgeois, une barbouze qui surveille les entrées, une espèce de connasse qui bosse dans la pub, un loubard parmi tant d’autres, un étudiant (poil au dent), ou un baba-cool cradoque, faites chauffer la mob ! Ne vous attendez pas à une énième biographie complète de Renaud, cette semaine on mettra en avant le côté nostalgique de son œuvre, les chansons tournées vers l’enfance, et les souvenirs personnels de notre jeunesse. Au moins, on est sûr de vous proposer de l’inédit !  😉

 

Avant les années 80 :

Renaud Pierre Manuel Séchan a poussé sa première chanson colère le 11 mai 1952. Il y a donc 61 ans, c’est dire s’il était précoce. On a souvent présenté Renaud comme issu d’un environnement pauvre, hostile, propice à la révolte et à la délinquance. Ceci est bien inexact. Renaud, c’est l’histoire d’une mixité. Un mélange de pluie et de soleil, d’intellos et d’ouvriers, de poésie et de violence. Son père vient du sud, est un érudit professeur, amoureux des lettres et des livres. Sa mère vient du Nord, d’une famille minière.

Cette petite famille s’est installée dans le 14ème arrondissement de Paris, un quartier tranquille, mais pas huppé, propice à l’Art et à la rébellion, au calme et aux festivités. Renaud n’aurait pas pu devenir Renaud sans ce “mélange” social.

Renaud eut la chance de connaître une enfance douce et heureuse. 5 frères et sœurs, dont un jumeau, ça permet de se créer des souvenirs de gosses par centaines, des moments de complicité, de castagne, d’amour, de jeux. Souvenirs qui ne le lâcheront jamais.

A la fin de son adolescence, il opte pour un mode de vie contestataire, qui le poussera à monter sur les barricades en mai 68, puis à faire la manche et vivre de petits boulots, ou de petits rôles au café-théâtre. Entre temps, il apprend à faire des chansons. Et surtout à ouvrir sa gueule. Ses premières ritournelles, à défaut d’être des chef d’œuvre mélodiques, sont des brûlots crachés à une société gaulliste qui l’écœure. En 1975 sort donc “Amoureux de Paname”, un premier album qui ne le propulse pas au sommet de la variété, mais qui lui vaut tout de même un passage chez Danielle Gilbert, avec la chanson “Camarade Bourgeois”. On commence comme on peut, hein  ! 😉

Le succès, il l’obtiendra deux ans plus tard, grâce à une chanson rigolote, “Laisse Béton”, de l’album du même nom, appelé aussi (à tort) “Place de ma mob” en raison du graffiti qui orne la pochette. Renaud entre de plain pied dans la chanson française, et s’y fait une place en tant que poête teigneux mais rigolo, influencé par Georges Brassens, Leo Ferré et Bobby Lapointe, mais aussi par Antoine, Hugues Aufray et Bob Dylan. Il se forge un style bien à lui, des chansons aux accords simples, et des paroles qui touchent leur cible à chaque flèche.

En 1979, Renaud sort un nouvel album, “Ma gonzesse” qui, s’il ne remporte pas le succès de “Laisse Béton”, contient tout de même plusieurs classiques bourrées de tendresse, et déjà une nostalgie du temps passé, thème qui sera présent dans quasiment tous les albums suivants. Deux titres assez méconnus le résument bien, “La Tire à Dédé”, où il se souvient du bon vieux temps des virées en bagnole de l’adolescence, ou “J’ai la vie qui me pique les yeux”, où pour oublier son mal-être, il “voudrait que ce soit tous les jours l’enfance, dans un monde que d’innocence”. Eh oui, déjà à regretter sa jeunesse … alors qu’il n’a que 27 ans.

 

Le début des années 80 :

Nous y voilà, dans cette fétiche décennie. Renaud passe à la vitesse supérieure : de 1980 à 1985, pas moins de 5 albums, dont un live, verront le jour. Renaud a des choses à dire, il n’est pas content et le fait savoir !

En 1980 sort tout d’abord “Marche à l’ombre”, et sa pochette inoubliable, où l’artiste porte son classique Perfecto et son bandana. Il se fait autant d’admirateurs que de détracteurs, et devient en un rien de temps le porte parole d’une jeunesse pas encore mitterrandienne, d’un monde de loubard oublié par la France d’en haut, et de pauvres ouvriers exploités par ces gros cochons de patrons (c’est pas moi qui le dit, hein ! 😉 ). C’est avec cet album que Renaud se fait définitivement un nom, ou plutôt un prénom, et un style propre à lui.

Pour schématiser, ses chansons peuvent se classer en 3 catégories : les rigolotes, les tendres et les teigneuses. Leur construction est à la fois simple et complexe. Le vocabulaire est basique, tiré de l’argot et du langage populaire, mais les tournures de phrases sont assez pointues, mêlant narration et description, clichés et réalités, témoignages réels, ou usage fictif de la première personne du singulier. Avec une grosse dose d’émotion dès que l’occasion se présente. Les rimes sont plates, croisées ou embrassées, souvent volontairement approximatives, les comparaisons ou métaphores très fréquentes pour appuyer ses propos, ou au contraire les rendre plus légers.

Renaud excelle dans le style descriptif. Alors que ses premiers albums racontaient en majorité la vie de son quartier dans les années 70, ses délires de jeunesse, ou les colères issues de ses expériences, les albums du début des 80’s le voient s’attaquer à des thèmes plus généraux : les médias, la politique, les inégalités sociales, les élites …

Ses chansons deviennent une peinture de notre société, un tableau qui bouge, et qui met en scène les personnages de son univers. Renaud utilise son vécu, ses idéaux, et même ses utopies pour nous embarquer dans son atmosphère qui sent bon le bitume, la banlieue, les quartiers populaires, la bière éventée des troquets miteux, et le rouge qui tâche des repas de famille du dimanche.

“Marche à l’Ombre” est mélange de chansons explosives et rigolotes qui cartonne, encore plus que “Laisse Béton”. Cette album assez sombre laisse peu de place pour la nostalgie, la tendresse ou les déclarations d’amour. Mais bordel, qu’il est bon ! Et il égratigne au passage certains phénomènes de société propres aux années 80, comme les working girls ou les yuppies qui en prennent pour leur grade dans “Mon HLM”.

Un an plus tard, l’artiste bat le fer tant qu’il est chaud, et sort “Le retour de Gérard Lambert”. Il remet à l’honneur le bon vieux temps de sa jeunesse, par une chanson (très moyenne à mon goût) en hommage à son grand-père, “Oscar”. Et par une autre où il se désespère, impuissant, de voir certains de ses vieux amis se laissant emporter par la drogue (“La Blanche”).

Deux autres chansons plein de tendresse sortent du lot, et parlent toutes deux à leur manière d’une rupture. La première, c’est “Soleil Immonde”, une chanson très rock, qui ne ressemble à aucune autre chanson de l’artiste. Et pour cause, elle a été composée par son meilleur ami, un enfoiré qui s’est présenté à l’élection présidentielle. Et la seconde, c’est par sa beauté et sa tristesse : Manu.

 

Manu, c’est Renaud Pierre MANUel. Mais c’est nous tous. Tous ceux qui, un jour, ont connu un chagrin d’amour, et ont eu envie de vider le fut de bibine du rade, en versant des larmes plein leur bière. “Une gonzesse de perdue, c’est 10 copains qui reviennent”, ce sont les paroles qu’on a tous rêvé d’entendre quand une tuile du genre nous arrivait sur le coin de la tronche. Mais quand on écoute cette chanson, c’est si bon d’être triste …

Pour clore cette période, Renaud sort en 1982 un album live magistral : “Un Olympia pour moi tout seul”. Bien qu’ayant un registre de variété française, avec de l’accordéon, du piano, ou même de la flûte, ce concert dégage autant d’énergie qu’un concert de rock. Renaud y tient une forme éblouissante, raconte sa vie, plaisante avec le public, et nous fait un grand récital. Un disque à écouter absolument pour entendre les premières chansons de l’artiste différemment que sur les classiques albums studio.

En 1983, le style du chanteur devient plus posé, plus mûr. Sa paternité lui a donné d’autres priorités (la petite Lolita est née en août 1980), et cela se ressent sur ses chansons, moins brutes, moins incisives. Les mélodies sont plus sophistiquées : claviers, violons et même instruments exotiques s’invitent au bal. L’album s’appelle “Morgane de toi”, et s’annonce très riche et diversifié. Les paroles sont pleines de tolérance envers les minorités, qu’elles soient immigrées (“Deuxième Génération”) ou d’une autre couleur de peau (“Doudou s’en fout”).

Renaud s’y souvient aussi avec amusement des moments de sa jeunesse passées à draguer les pépettes “Près des auto-tamponneuses”, mais surtout nous offre deux pépites dégoulinantes de tendresse envers sa femme avec “En cloque”, et envers sa fille avec “Morgane de toi”. Tout le monde connaît cette chanson, et ses couplets à la gloire de l’enfance innocente et naïve.

L’album est un carton énorme, l’artiste franchit un pallier, celui qui vous fait passer en boucle sur la bande FM fraîchement libérée, et qui vous fait apprécier d’une frange bien plus élargie du public. Le chanteur devient alors un incontournable de la chanson française. Il s’en rend compte, et en profite pour s’engager pour des causes autres que musicales, et tout particulièrement l’écologie.

Il utilise également sa popularité pour soutenir quelques hommes politiques ancrés à gauche. Ces engagements lui feront perdre une grosse partie des illusions qu’il se faisait sur l’être humain, et le feront irrémédiablement basculer vers cette mélancolie de l’enfance perdue à jamais. Nous y reviendrons très vite.

Bon, je reconnais, elle est hyper connue … mais Morgane de toi, c’est incontournable sur notre site, je trouve. Pas vous ? Ah bon !

 

Nous arrivons à la moitié des années 80, l’heure pour nous de faire une pause avant d’attaquer la seconde moitié de la décennie et la fin de la carrière du chanteur. Je vais prendre cependant quelques lignes pour vous parler de mes souvenirs, car 1982-1983 correspond au moment où j’ai découvert Renaud. J’avais 6-7 ans, et mon premier réflexe a été de me demander pourquoi on m’interdisait de dire des gros mots, alors qu’un chanteur était adoré tout en chantant des grossièretés !  😉

Un jour, j’ai été estomaqué en entendant ma tata chantonner “La mer, c’est dégueulasse, les poissons baisent dedans”. Cette phrase faisait rire tout le monde, mais si j’avais dit le quart de la moitié de cette phrase, je vous raconte pas la fessée ! ^^

Je ne me suis vraiment intéressé à l’œuvre de Renaud qu’à partir de 1985. C’est mon pote Laurent qui m’avait converti, du haut de nos 9 ans. Il m’avait appris à ne pas m’arrêter au langage brusque, et de m’attarder sur les anecdotes rigolotes et la tendresse qui se cachaient derrière ce loubard. Dès lors, de “chanteur à gros mot”, Renaud était devenu mon pote, grâce à sa chanson sur l’Éthiopie et son album Mistral Gagnant. J’entravais que dalle à l’arguiche que cézigue il jactait, mais m’en foutait, j’avais un nouveau frangin, un poteau, un copain qui m’tenait chaud …

On va s’arrêter là pour l’instant. Pour la seconde partie de la carrière de Renaud, c’est par ici : Renaud, le chanteur énervant Partie 2.

Vous pouvez également découvrir une photothèque concoctée par nos soins, avec des photos inédites tirées de magazines d’époque.

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