L’émission “Que deviendront-ils ?”, fresque de nos années 80 !

 Que deviendront ils ? Une question toute bête, mais qui ne l’était pas en 1984, au lancement de cette série d’émissions. Car derrière cette interrogation se cache une idée hors du commun, un souvenir télévisuel de ceux qui vous remuent les tripes 30 ans après. Ces émissions, beaucoup d’entre nous s’en rappellent, beaucoup les ont oubliées, et beaucoup vont avoir un flash en lisant les lignes qui suivent.

 

Tout commence au début des années 80. Michel Fresnel, réalisateur pour la télévision, souhaite concevoir un documentaire inédit, et totalement à part dans l’histoire de la télé française. Il s’inspire de “Seven Up !”, un vieux concept britannique, filmant des enfants à intervalles réguliers (tous les 7 ans) depuis les années 60, en cherchant à savoir ce qu’ils deviendront en l’an 2000.

Michel Fresnel décide de garder ce principe, en réduisant les intervalles. A partir de la rentrée 1983, et ce durant 10 ans, il filmera régulièrement plusieurs enfants choisis “au hasard”, et s’immiscera (sans s’imposer) dans leur vie quotidienne avec ses complices les journalistes Hélène Delebecque et Annie-Claude Elkaim. Ensemble, ils capteront les tranches de vie de ces enfants, qui deviendront très vite des adolescents, puis des jeunes adultes. Le résultat de leur tournage sera diffusé une fois par an sur Antenne 2. Avec le fil conducteur commun à chaque émission : “Que sont-ils devenus depuis l’année dernière, et que deviendront ils dans un an ?”

 

Loin d’être une immersion voyeuriste dans le quotidien de jeunes gens des années 80, cette série de documentaires a pour ambition de s’intéresser à leur scolarité, leur cellule familiale et leur place respective dans la société. Les enfants sélectionnés ne seront pas des cas particuliers, mais des élèves de classe moyenne comme on en trouve dans la majorité des collèges de France. Ils seront choisis au sein d’une même classe, en l’occurrence la 6ème 3 du lycée Paul Valery à Paris.

 

Lors de la première émission, diffusée le 1er avril 1984, on fait donc la connaissance avec plusieurs enfants, qui ont chacun leur particularité, leur caractère … et bien sûr leur héritage social et familial. Michel Fresnel et son équipe ont en effet choisi plusieurs profils sociaux au sein de la 6ème 3, afin de pouvoir répondre à quelques questions au premier abord évidentes, mais extrêmement intéressantes à décortiquer : est-ce que tout le monde naît avec les mêmes chances de réussite ? Quel rôle joue la classe sociale des parents ? Leur profession, l’éducation et l’attention qu’ils apportent à leur progéniture sont-ils des facteurs de réussite majeurs, ou de simples éléments contextuels ?

 

Nous en aurons un aperçu pendant 10 ans grâce à Valérie, Sandrine, Ingrid, Jérôme, Philippe, Franck, Isabelle et Florent. Ce sont en effet les enfants qui ont accepté de “jouer le jeu” et de se prêter à cette étude. Sans savoir au départ si la caméra, souvent présente dans leur vie, et le contact très régulier avec un journaliste intervieweur auront des répercussions sur leurs choix, et sur leur destin.

 

Au début de l’aventure, les enfants sélectionnés ont tous entre 11 et 13 ans. Les voici :

 

Valérie : c’est une petite fille ronde et espiègle, un peu dissipée en classe, aimant les bonnes rigolades et faire des blagues. Elle vit dans un environnement très modeste, seule avec sa mère dans un minuscule appartement, sans avoir jamais connu son père. Depuis sa naissance, elle souffre d’un malheureux handicap à l’oeil gauche, qui reste fermé suite à une malencontreuse manipulation des forceps.

Franck : c’est le sportif de la troupe. Il ne jure que par le tennis, poussé en cela par son père qui croit en ses chances de devenir champion. C’est aussi un bon élève, fils unique au sein d’un foyer aimant et équilibré.

Florent : il est ce qu’on pourrait appeler le plus privilégié. Fils de parents ayant une situation confortable, il a la chance d’ouvrir son esprit à un tas d’horizons différents. Il prend en effet des cours de musique, d’art, de tennis … Mais cela ne veut pas dire que tout lui tombe du ciel : il est extrêmement bosseur, très bon élève, et se donne à fond dans tout ce qu’il fait.

Ingrid : c’est une petite fille timide et discrète qui n’intervient vraiment qu’à partir du 3ème épisode (vers 1986). Elle a énormément de mal à se confier devant la caméra. On ne sait que très peu de choses d’elle dans les premières émissions, si ce n’est qu’elle est la petite dernière d’une famille nombreuse.

Philippe : un blondinet extrêmement attachant. Un peu plus vieux que les autres (il a 13 ans et demi en 1983), il n’est malheureusement pas doué pour l’école. Un peu paumé en classe, rêveur, solitaire, le sourire parfois triste, de ces enfants pas malheureux mais pas euphoriques non plus. Il vit tout de même au sein d’une famille modeste mais soudée, avec ses parents et son frère.

Sandrine : c’est une mignonne jeune fille, qui malheureusement n’acceptera de figurer que dans la première émission de 1984. Ce qui est dommage, puisqu’elle était parmi celles qui étaient le plus à l’aise devant la caméra.

Jérôme : Lui non plus n’a jamais connu son père, il vit avec sa mère, son beau-père et son demi-frère. Un peu écorché par la vie, il n’est pas à l’aise en classe. On s’attache vraiment à lui qu’à la troisième ou quatrième émission, quand il se trouve en pleine adolescence.

Voici pour nos protagonistes. Les profils sont variés, et c’est ce qui est le plus intéressant. La première émission nous présente des personnes pas encore sorties de l’enfance, mais avec déjà pour certains de vrais problèmes d’adultes : le milieu modeste, les problèmes financiers des parents, les familles monoparentales ou recomposées, et déjà l’incertitude de l’avenir …

 

Elle nous montre aussi des enfants épanouis, rieurs, blagueurs, encore loin de leur vie d’ado : pas de flirt, de boutons d’acné ou de rébellion, mais des jeux, des blagues, du sport, et de l’insouciance.

Et c’est cela qui va faire la magie de ces documentaires. Émission après émission, ces enfants vont grandir, et emprunter des voies radicalement différentes.

 

Loin de s’essouffler, la série devient au contraire de plus en plus passionnante et touchante au fil des années. Chacun de nos adolescents trace sa voie, choisit sa route, mûrit, se pose des questions, et cherche ses réponses. Et année après année, se raconte aux journalistes : la vie, les études, les amours, les passions, la société, la politique, et tant d’autres choses.

 

Valérie, sans repère familial, se marginalise et rapidement vit de manière quasi autonome, mais reste très accessible pour les journalistes. Elle lâche l’école vers 16-17 ans, sans regret, et se cherche longuement, entre flirts éphémères et petits boulots qui la construisent petit à petit. Assez paumée à l’aube de sa majorité, elle trouvera sa rédemption dans l’Art, en se lançant dans la peinture, et surtout en se découvrant un réel talent pour le théâtre. Entre temps, elle a subi une opération pour supprimer son handicap à l’oeil gauche. Elle en garde néanmoins une gêne, cachant son oeil opéré par une large mèche de cheveux.

Franck, quant à lui, abandonne le tennis et la compétition assez vite, comprenant que les sacrifices à faire sont trop importants pour atteindre le top niveau, et surtout il privilégie sa scolarité. Choix payant puisqu’il intégrera une école de journalisme réputée. Chose étrange, malgré son environnement assez préservé, Franck se montrera très tôt désabusé par l’être humain, et développera un côté misanthrope et nostalgique que son héritage social ne lui prédestinait pas.

 

Florent évolue sans trop de difficultés jusqu’à sa majorité. Ses années collège et lycée se déroulent sans encombre. Mais c’est en abordant sa vie d’adulte qu’il se remettra totalement en question, et délaissera cette vie trop terre à terre, et cette jeunesse un peu trop façonnée par son héritage parental. Il choisira une faculté de lettres, et se lancera même dans l’écriture.

 

Philippe quitte rapidement le circuit scolaire général pour entrer au LEP et se découvre des affinités avec la menuiserie et l’ébénisterie. Il a toujours le plus grand mal à sortir de son tempérament rêveur, il n’a que peu d’amis, et passe le plus clair de son temps dans sa chambre, à faire du dessin ou à pianoter sur son ordinateur. L’histoire de Philippe est touchante. On ne peut qu’être attendri par ce bonhomme qui a conscience de ses limites, qui aimerait être un bon élève, mais qui définitivement n‘y arrive pas. On éprouve une énorme sympathie pour lui, qui doit se battre en permanence pour arracher la moindre victoire sur la vie, qu’elle soit scolaire, professionnelle ou sentimentale.

Ingrid, la fillette timide, se transforme petit à petit en une jeune femme ravissante, aux superbes yeux clairs. Au fil des émissions, elle s’exprime toujours avec retenue, mais petit à petit se délivre de sa réserve. On découvre alors une jeune femme épanouie, la tête sur les épaules, sachant profiter des plaisirs qu’offre la vie, tout en conservant une scolarité sérieuse.

 

Jérôme, au terme d’années collège cahotiques, se tourne vers l’enseignement technologique, en restant malheureusement désabusé sur les carences du système scolaire et son incapacité à motiver les élèves, à leur donner l’envie. Il termine sa scolarité sans diplôme, et on perçoit là tout le gâchis d’une Éducation Nationale qui déjà à l’époque ne sait pas donner leur chances à des personnes intelligentes et sensées, comme pouvait l’être Jérôme.

 

Enfin, Isabelle est une jeune femme qui rejoint les émissions sur le tard. Étudiante à Aix en Provence, elle a quitté Paris suite au divorce de ses parents, mais a su faire face aux épreuves sans trop de problèmes.

En 1993, Michel Fresnel et son équipe prennent congés de ces jeunes adultes. Chacun tracera désormais son chemin, mais loin des caméras, des micros et des journalistes. Sauf en 1996, où deux dernières émissions voient le jour, l’une consacrée à Ingrid, Philippe et Jérôme, et l’autre à Valérie. Vous l’avez vu dans les paragraphes ci-dessus, l’adolescence de ces jeunes gens a pris des tournures variées, parfois simples, heureuses et insouciantes, mais aussi parfois avec doutes et souffrance. Telle est la jeunesse que nous avons tous connu. Un mélange de bons moments et d’épisodes douloureux qui ont construit chacun d’entre nous.

 

Quand on regarde “Que deviendront ils”, on s’identifie à ces ados, bien sûr, mais pas forcément à quelqu’un en particulier. On prend un peu de chaque personnalité. La timidité de l’un, les projets de l’autre, la souffrance d’un troisième … Ces jeunes gens étaient un concentré de la jeunesse des années 80, sans en être des stéréotypes.

 

Car jamais ces ados n’ont été des porte paroles de la jeunesse. Ils n’en ont jamais eu l’envie, ni la prétention. Ils étaient des jeunes ordinaires, comme vous et moi, et s’ils n’avaient pas été choisis par la production de l’émission, seraient restés de parfaits anonymes … comme vous et moi. Et c’est ce qui rend leur témoignage encore plus savoureux.

 

Aussi intéressante fût cette série d’émissions lors de sa diffusion annuelle, le plus fascinant est de se replonger dans le contexte des années 80 trente ans plus tard. Une ambivalence de sentiments nous titille au fil des émissions. Un bien-être s’empare de nous au vu de ces images datées, et nous replonge dans le cocon douillet d’une époque où la technologie n’avait pas envahit les foyers, et où posséder une télé, un poste radio, une platine vinyle et un téléphone (fixe et filaire), c’était déjà pas mal du tout.

 

Mais un malaise nous parcourt aussi, en pensant au monde dans lequel on vit désormais. Non pas qu’il soit meilleur ou moins bon qu’il y a trente ans, mais en voyant ces ados en détresse parfois, en galère aussi, on a envie de crier devant la télé “Attention, fait gaffe aux choix que tu vas faire, parce que le 21ème siècle, c’est pas de la tarte !”, en espérant que le gamin de 1987 entendra le message. Même si c’est trop tard, même si les mômes qu’on voit à l’écran ont aujourd’hui la quarantaine bien tassée, et que les dés sont jetés depuis belle lurette.

D’un point de vue observateur, regarder ces émissions avec 30 ans de recul s’avère riche d’enseignements. A l’époque, la jeunesse croient encore au socialisme mitterrandien au point de donner 54 % des suffrages au président sortant, qui lui apporte en retour un grand espoir et une ferveur. La jeunesse vit aussi avec le SIDA. Aujourd’hui encore me direz-vous. Mais à l’époque, cette saloperie de maladie était encore pleine de mystère, et quand on parlait d’amour, on parlait SIDA malheureusement.

 

Vous l’aurez compris, “Que deviendront-ils ?” s’apprécie encore énormément aujourd’hui, car il permet de se poser une autre question : “Que sont-ils devenus ?” En regardant cette jeunesse, ordinaire sur bien des points, on ne peut s’empêcher de se demander comment elle a évolué. Qu’est devenue cette génération, ces enfants de baby-boomers qui ont aujourd’hui la quarantaine ?

“Que deviendront-ils ?”, au delà de la vie des Franck, Valérie, Ingrid, Philippe et les autres, c’est aussi et surtout “Que devenons nous ?”. Nous, cette génération née dans les années 70, ayant grandi dans les années 80. Une génération qui a toujours vécu dans l’antithèse de la mentalité soixante-huitarde. A qui on a foutu la trouille depuis sa naissance, à qui on a brandit la menace du chômage si on ne travaillait pas bien à l’école, à qui on a promit le SIDA si on ne prenait pas nos précautions, à qui on a enlevé Coluche et Balavoine, à qui on a imposé les images de Tchernobyl, de Challenger et d’Omeyra.

Mais au final, une génération fière d’avoir quand même vécu ça, heureuse de l’époque qui l’a vu grandir, certes lorgnant parfois avec envie vers celle de ses parents et son plein emploi, son amour libre et ses interdits d’interdire, mais qui n’échangerait pas deux barils d’une autre décennie contre un baril de ses années 80.

“Que deviendront ils” est disponible sur le site de l’INA pour quelques francs (oui, je sais, refuser de parler en euros ne va pas m’aider dans ma thérapie 😉 ), vous seriez bien ballots de ne pas vous replonger dans l’aventure qu’elle nous a proposé 10 ans durant. Ne serait-ce que pour vous immerger de nouveau dans ces scènes de la vie quotidienne, ces dîners en famille sur la table en formica en regardant une des trois chaînes de télé. Ces vieux objets, ces fringues improbables, les sous-pull en lycra, les jeans délavés. Ces longs silences devant la caméra, ces moments de complicité, les regards gênés de ces ados quand est abordée leur intimité. Ces petites tranches de vie, ces espoirs, ces rêves, ces désillusions aussi.

Je ne sais pas si à l’époque, Michel Fresnel, Helene Delebecque et Annie-Claude Elkaim avaient conscience que 30 ans plus tard, ils rendraient des gens heureux. Il se trouve que je fais partie de ces gens heureux, grâce à cette série d’émissions, que j’avais découvert à l’époque alors que j’étais moi-même un enfant, et que j’ai redécouvert récemment, pour mon plus grand bonheur. Que tous les protagonistes de cette aventure, journalistes et jeunes gens filmés dix ans durant, soient remerciés pour ce témoignage hors du commun sur une époque que nous avons définitivement perdu.

 

NB : Si certains participants à cette aventure souhaitent, pour des raisons qui leur appartiennent, que nous modifions ou supprimions certaines images, qu’ils n’hésitent pas à nous contacter !

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